Monday, February 06, 2006

Troisième Chapitre...

CHAPITRE III/
Surviavor Mamie…

Me revoilà assis auprès de Mamie. Elle parle sans que je ne puisse distinguer les mots les uns des autres, parfois une bribe prend sens au fond de moi. Elle répète ce qu’elle me disait hier et avant-hier, ce qu’elle disait le jour d’avant encore et me dira demain. Pour l’instant, je suis absorbé par ses mains qui virevoltent devant ses yeux qui n’entrevoient presque plus rien. Le soir, pour m’accueillir, elle tire son cou pour venir coller son front presque entre mes deux yeux. En me pliant en deux, je vois sa bouche où trônent fièrement deux chicots sanguinolents :
-J’ai encore mes dents, vous voyez !
Ce souvenir traverse mon esprit et je reviens à ses mains qui gigottent. Le creux du coude est si maigre que je pourrais distinguer tous les détails de l’articulation. Sa peau, autour, ressemble au cou de poulet que buclait(*) ma grand-mère sur le vieux poêle à bois. Ses veines bleues et flasques roulent sous la peau comme deux vers de terre dans un emballage vide. Un flot d’images atroces s’enchaînent devant mes yeux : j’imagine ses seins vidés de toute substance qui font “floc” en retombant lorsque chaque matin je lui fais sa toilette. Sa colonne est tordue et mène à la raie plate de ses fesses ratatinées. Sa peau est tellement fine qu’elle se colle et brille comme le papier à cigarette qui a jauni après être resté au soleil. Ses cheveux sont rares et gras, mais drus comme il est peu courant. Par petits paquets de trois, ils se dressent fièrement aux quatre coins cardinaux. J’essaye d’interrompre le flot sordide, sans grand succès. Putain de merde, je sens que je vais flipper. Vite, pensons à Jeanne... Mais au fait, elle n’est plus très jeune non plus...
Trop tard. Je suis pris au piège, je sens l’angoisse et la résignation me gagner en aidant Mamie à se lever pour aller se coucher.
-Oh, monsieur Zébulon ! Je crois bien que j’ai un morceau de coton dans l’anus ! Vous ne voulez pas regarder ?
J’ai dit “oui”, quel con ! Que pouvais-je faire d’autre ?... Pourvu qu’il n’y ait que du coton...
Elle peut pas mettre des couches comme tout l’monde, cette vieille taupe ? Je jette un oeil autour de moi, sur le dessus de lit râpé, l’unique table de chevet où trône une lampe avec son squelette d’abat-jour, je regarde le papier déchiré sur les murs et les rideaux jaunis.
Je suis vraiment trop con, je l’adore cette vieille bique. La pauvre perd chaque jour un peu plus de ce que la vie lui avait offert. Sa petite-fille lui a tiré ses rentes et elle, elle attend désespérément une chambre dans un mouroir. Quelle perspective ! Et je suis là en train de dresser l’inventaire de ses difformités.
Oh hé ! Faut que je me calme, moi ! Je ne peux pas porter toute la misère du monde sur mes épaules ; j’ai de la tendresse pour cette vieille, mais elle me fait flipper. Faut que j’me décide à faire autr’chose.
Et merde !... J’savais bien qu’il n’y avait pas que du coton...
Allez zou ! Le Témésta, les bas ratatineurs de bouts de pieds qu’on met trois heures à enlever. Les gouttes de zoeil qui font “plic”, le bisou qui fait “schlurp” et la main qui s’agrippe. Y’a pas à dire : ce soir, j’ai droit à tout ! Le grand numéro sans Jeanne et la boule au plafond. Et un grand “schlurp” de l’autre côté ; j’m’en fous, elle peut plus me mordre, ses chicots sont au fond.
Cinq rappels et deux bis, bon score. Ce soir, j’ai dû être bon. Je rampe jusqu’à ma paillasse qui se trouve dans la pièce d’à côté, le matelas est défoncé et le sommier grincheux. J’y plonge sans broncher et m’endors presque aussitôt... Dans une heure, elle m’appelle pour faire pipi.
(*) buclait : brûler la peau du cou.

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