Wednesday, March 15, 2006

Chapitre V...

CHAPITRE V /
Retour au royaume de Mamie Land…

Après avoir écrit à Séraphine, j’ai zoné dans mon repose-fesses pendant encore deux heures. Ce n’est que la famine qui m’a tiré de là avec ses doigts crochus. Mon estomac hurlait comme un fou ses atroces souffrances. Je suis resté perplexe de longues minutes devant la porte béante du frigidaire, une étendue blanche, luminescente et déserte.
Dans le frigo de “Mamie Land”, rien de beaucoup plus réjouissant. Un vieux pot de confiture entamé, sans couvercle, et le souvenir d’une demie livre de beurre... J’ai calé mon estomac avec un verre d’eau.
Comme la veille, je suis assis sans bouger à regarder mes pieds ; à intervalles réguliers, je relance d’un mot le monologue identique qui s’égraine jour après jour.
J’étais ce matin, en écrivant à Séraphine, dans un état étrange. J’ai du mal à me remémorer mes mots. Je crois que je me suis emballé sec. Peut-être n’aurais-je pas dû poster cette lettre.
Ce soir encore, je me sens trop énergique pour pouvoir dire que je suis vraiment bien. L’énergie peut-être très positive, mais elle peut aussi masquer certains problèmes. C’est un peu comme une sonnette d’alarme qui dirait “attention mon coco, si tu fais pas gaffe, il pourrait t’arriver des bricoles”. Je ne suis pas vraiment mal mais j’ai envie de je ne sais quoi. Je ne suis pas réellement serein, mais ça n’est pas mauvais. Bon, j’suis lave-vieux, mais ça pourrait être pire...
... Par exemple, Mamie aurait pu s’endormir et laisser échapper quelque vent fleuri qui aurait à coup sûr traversé sa robe, le couvre canapé et, bien entendu, le sommier de ma paillasse.
Manque de bol, l’odeur qui à l’instant chatouille mes subtiles narines et retourne mon coeur, ainsi que le doux bruit qui raisonne à mon oreille, viennent confirmer tôt fait que “ça ne pourrait plus être pire”.
J’ai passé plus d’une heure après avoir couché Mamie à tenter de réparer le cataclysme. Elle m’a déjà rappelé deux fois et, si je ne me décide pas à m’allonger dans la seconde, une belle et longue nuit blanche s’offrira à moi.
Malgré moult “briquage” et autre nettoyage, l’âcre odeur tapisse encore mes narines de nacre. Je ferme les yeux en essayant de me concentrer sur mon brin d’herbe...
Je suis à la lisière d’une étrange forêt. Les arbres sont si hauts que je ne peux en distinguer la cime. Je sais qu’au-dessus le soleil brille, mais tout autour de moi baigne dans une obscurité quasi totale. Je suis parfaitement à l’aise. Je sens que quelqu’un est derrière moi, mais je ne peux me retourner pour distinguer son visage. Cependant, il s’agit d’une personne familière. En m’approchant de l’orée des bois, je suis ébloui par la clarté du jour. Une douce bruine rafraîchit mon visage, je fais quelques pas encore et je suis en pleine lumière. J’entends le vent raisonner dans les hautes branches ; il semble que les extrémités des plus vertigineuses soient comme cristallisées. En s’entrechoquant délicatement, elles tintent comme des millions de clochettes. Si je tends l’oreille, j’ai l’impression d’écouter une mélodie, quelques couplets légers et le refrain cadencé.
Je sais que ma promenade est toujours accompagnée mais je ne peux toujours pas savoir de qui il s’agit. J’avance dans une prairie immense dont je ne vois pas la fin. En baissant le regard, je ne suis même pas étonné de voir sous mes pas pousser des fleurs incroyables aux pétales lourds et chamarrés. Tel un Bouddha des temps modernes, dans mon sillon croît un jardin extraordinaire. Je suis bientôt cerné de fleurs multicolores qui viennent jusqu’à ma poitrine. La présence derrière est ralentie par ces excroissances botaniques, mais continue à suivre.
La bruine autour de moi semble se resserrer et prendre corps au-dessus de ma tête. En regardant mieux, il y a maintenant une étendue d’eau scintillante qui remplit les nuages qui deviennent lentement un fond marin aux algues vaporeuses. Des papillons couverts d’écailles tournoient dans cet océan. De petites étoiles de mer brillent comme des diamants suspendus dans le vide.
Un lys plus téméraire déroule ses pétales au creux de mon cou pour exhiber son pistil et son calice au ras de mon visage. En me penchant, je distingue au fond de sa corolle quelque chose qui m’attire. Je m’approche un peu plus quand soudain les pétales soyeux se referment sur moi. Ma tête est prisonnière, mais je ne suis toujours pas Le calice semble s’être allongé démesurément ; je distingue alors une bouche peinte au creux d’un lit d’étamines safran. Les lèvres frémissent, et j’entends :
-Zébulon, l’eau coule en toi comme au milieu des mousses, là où les oiseaux nagent la tête en bas.
Presque aussitôt, mon visage est de nouveau à l’air libre. Je sens mon corps flotter et s’élever légèrement, puis pivoter sur lui-même jusqu’à ce que je me retrouve la tête en bas sans la moindre gêne.
Je reste un instant dans cette position, la tête au ras des fleurs. Je peux cette fois contempler le visage de mon compagnon. Ses traits sont ceux de Séraphine, mais son corps est étrange, à peine discernable sous son écorce brune, les bras autour sont deux branches élancées qui s’étendent et fleurissent de pétales transparents. Son visage me sourit, et je me sens doucement aspiré par cet océan céleste sans en troubler une seconde la surface, jusqu’à flotter bientôt dans ce nouveau monde où tout est inversé.
-Monsieur Zébulon..., vous dormez ?... N’est-ce pas l’heure ?...

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